Préface du professeur Guérin Chapsal Montilus
Bernard et Catherine Desjeux ont écrit ce livre dans un langage clair et limpide. Il est le fruit de leur expérience quotidienne en entrelaçant leur vie avec celle de leurs hôtes, les Béninois du Dahomey des années 1970 et les Béninois du Bénin des années ultérieures. Comme leur initiateur, feu Pierre Verger d’illustre mémoire, leur père dans le métier de l’ethnographie photographique et de la photographie ethnographique, ils partagent leur entrevue documentaire et la documentation vivide de l’existence d’une institution sociale qui fonde la vie des gens. Bernard et Catherine Desjeux nous donnent en pâture leur propre mémoire de la société et de la communauté du vodun sînsen (service des vodun). Leur livre changera la sémantique grotesque de ceux qui convertirent ou continuent de convertir les vodun et orisha en fétiches, et leur “service” (sînsen) en “religion” barbare et sanglante, une sorte d’antiquité de l’âge sauvage des temps préhistoriques. Ainsi s’écroule le discours évolutionniste, qui a inconsciemment continué d’exister dans l’antithèse du Nord et du Sud, du moi et les autres. Les deux auteurs nous montrent, par exemple, que la danse des vodun constitue un art et une chorégraphie. Cela honore la mémoire de l’ethno-musicologue africaine américaine Katherine Dunham qui convertît les danses vodun d’Haïti en ballet euro-américain. Cette nouvelle technique chorégraphique a réconcilié l’antithèse sauvagerie/civilisation en un nouvel art moderne. Bernard et Catherine Desjeux ouvrent les arcanes des vodun et orisha à travers leur propre histoire au Bénin, leur propre expérience, leurs contacts avec les croyants, les initiés, les officiants et beaucoup d’autres. Le livre entrouvre la porte sur le mystère du vodun sînsen et orisha, le code oral et collectif des croyances et de conduites, la culture et son adaptation écologique en Afrique et dans les Amériques. Le vodun sînsen a survécu à la barbarie de l’esclavage et à l’oppression de l’ère coloniale parce que les vodun et les orisha s’identifient avec le mode de vie de la communauté dans une alliance de “don et contre-don” (Marcel Mauss) et cela dans une relation cosmocentrique pour le bénéfice des hommes. Aussi, il n’y a pas de ciel ou d’enfer dans cette alliance. Elle est géocentrique et existentielle, comme le disent et le démontrent les deux auteurs. Les vodun existent pour la terre et les hommes. À la mort des vodunsi (épouses des vodun, initiés), il faut enlever le vodun de leur tête (de su n’e). Car on n’a pas besoin du vodun dans le monde des morts, selon l’eschatologie de cette culture. Quand Bernard et Catherine Desjeux m’ont rencontré en 1972 à Cotonou, Bénin, je n’ai pas manqué de leur dire que les vodun étaient inintelligibles. Les rois, disent les gens, ont enfermé leurs secrets dans une calebasse (ka), et n’en ont laissé la clé à personne. Les secrets des vodun et des orisha sont impénétrables. Il constituent un mystère. Les Haïtiens s’en sont souvenus, c’est pourquoi ils appellent les lwa (vodun) mistè (mystères), à cause de leur inintelligibilité. Il ne faut pas essayer de les compter. Leur nombre défie la méthode calculatrice quantitative. Ils sont incalculables. Ils sont les compagnons des hommes, et sont par conséquent aussi nombreux que les problèmes humains qui sont eux-mêmes innombrables. Les vodun et les orisha s’entrelacent avec la condition humaine et lui donnent sens. C’est un panthéon ouvert - non clos comme le canon des saints d’autres panthéons - où peuvent s’ajouter bien d’autres vodun et orisha jusque-là inconnus des vodunsento (serviteurs des vodun), quand ils sont trouvés par d’autres hommes, incorporés dans d’autres cultures. Les vodunsento adoptent ces nouveaux vodun (Haïti) et orisha (Brésil, Cuba) qui ont prouvé leur efficacité. Le panthéon vodun est cosmopolite, non syncrétique (mixte). J’ai aussi rencontré le cas du crucifix que les auteurs rapportent dans leur mémoire et ont documenté. Le vodunon (propriétaire du vodun) me dit : “Jesu Christu, vodun we nyi”, Jesus-Christ est un vodun). On peut le lire en filigrane dans le livre de Bernard et Catherine Desjeux, les vodun et les orisha sont des symboles et des métaphores qui épousent le contour de la réalité culturelle. Leur existence est réelle, mais non empirique. C’est pourquoi la communauté des vodusento les définit comme nu (chose). Ils sont connaissables par leurs effets, non pas physiquement. Quant à la phytothérapie, elle doit la vertu curative des feuilles aux vodun. Le vodunon doit connaître les feuilles de son vodun comme on l’a dit et redit le professeur Jérôme Médégan Fagla, médecin. Bernard et Catherine Desjeux nous livrent un livre essentiel sur leur rencontre culturelle avec les vodun et orisha. Cet ouvrage s’adresse à tout le monde comme un témoignage vécu au fil de plusieurs voyages échelonnés sur plus de quarante ans. Il nous apprend que les cultures sont des discours humains, chargés de sens dont il faut apprendre la grammaire, la syntaxe, la sémantique et l’histoire par la pratique et avec patience. Ce livre reprend le grand pèlerinage de Orisha et Vodun, celui du feu Pierre Verger, un ami de qui nous avons beaucoup appris. Les auteurs nous conduisent dans les dédales de l’imaginaire africain toujours actif sur le continent et la diaspora. Pierre Verger m’avait dit une fois : « C’est par la pratique qu’on apprend à connaître les religions africaines ; cela ne s’enseigne pas. » Ce livre en est un témoignage.
Guérin Chapsal Montilus Professor, Anthropology Department College of Liberal Arts and Sciences Wayne State University. Detroit, MI, U.S.A.
Pour en savoir plus sur Pierre Verger : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1998_num_38_147_370516http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1998_num_38_147_370516 |