Organisé par l’éditeur Ibrahima Aya, La rentrée littéraire du Mali (Bamako, Sikasso, Djenné, Tombouctou) s’est tenue du 18 au 23 Février 2020. J’y ai retrouvé un Mali bien différent de celui dont on parle aux informations. Cela ne veut pas dire que tout va bien, les problèmes sont de tailles mais la rue le montre peu. Les "évènements" comme on les appelle pudiquement se passent bien au Mali mais ce n’est pas le Mali. Celui du vivre ensemble est bien vivant et quelque part renforcé. Lorsqu’il y a des problèmes on se sert les coudes. On ne les ignore pas mais on vit avec. La ville de Bamako se développe encore et encore ce qui donne le vertige car on n’en voit pas le bout. J’ai bien du mal à imaginer de quoi demain sera fait. Une démographie galopante, suivant l’expression consacrée. 400 000 naissances par an l’équivalent d’une ville comme Nantes débarque chaque année il est vrai sur un immense territoire mais au combien ingrat. J’ai eu l’occasion de voyager de jour, survolant pour la première fois la zone de Taoudéni le moins que l’on puisse dire c’est que le "coin" désert est peu accueillant, il faut attendre les environs de Bamako pour voir un peu de verdure et la vallée du Niger fait figure de paradis terrestre avec ses maraichages en culture de décrue.
La rentrée littéraire regroupe un certain nombre d’écrivains connus et moins connus qui évoluent un peu en circuit fermé à partir du grand Hôtel, de tables rondes en débats entre l’université, l’institut Français, quelques écoles et des repas conviviaux au Bafing. L’inauguration au musée national en présence de madame la ministre de la culture et de nombreuses personnalités a été agrémentée d’un magnifique spectacle donné par les élèves plasticiens du conservatoire. L’écrivaine Léonora Miano n’a pas pu comme d’habitude s’empêcher de jouer les divas en demandant d’éteindre les caméras.* Curieux, elle n’est pas obligé de venir se montrer, dans ces cas la on reste chez soi. Pour ma part j’aurais du mal à jouer les divas, j’ai beau connaître une bonne partie de la salle, en avoir publié un certain nombre, je suis totalement transparent et ne figure sur aucun dépliant. Il y a deux ans certaines de mes photos, des portraits d’auteur, étaient exposées de façon anonyme dans le hall de la bibliothèque nationale. Tous n’est que vanités, mais quand même...En fait je suis l’ami de la famille, celui que l’on ne remarque plus mais que l’on retrouve chaleureusement et cela me va très bien. J’ai eu l’occasion d’animer deux tables rondes, j’aime vraiment beaucoup ça et je m’y sens très à l’aise depuis le temps. Il y en a d’abord une sur la migration avec des étudiants d’une école de gestion et marketing. Ces jeunes gens et jeunes filles bien nés ayant la chance de suivre les cours d’une école privé ne rêvaient que d’une chose : partir en Europe. "Car là-bas c’est mieux" il a fallut que j’insiste pour demander ce qui était mieux. Réponse : l’argent. Une vision très pessimiste du monde.
La deuxième table ronde à l’ENA nouvelle formule, était particulièrement relevée avec des intervenants de grande qualité : Monsieur Moussa Mara ancien premier ministre, Monsieur Ndiaye Bah ancien ministre du tourisme, André Bourgeot anthropologue et le professeur Coulibaly député. "Bien sûre nous sommes influencés mais il faudrait savoir pourquoi nous sommes influençables. " un pays n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts" Moussa Mara invite à ne pas se tromper d’analyse et à se prendre en main. Il sera fortement question de lutte contre la corruption crime contre le pays, la liste est longue et le pouvoir actuel n’est pas épargné. André Bourgeot connait mieux que personne les tenants et les aboutissements de la situation Malienne. Sans en ignorer la complexité il tente inlassablement de remettre les choses à leur place. L’armée malienne n’est pas vraiment revenue à Kidal. Il s’agit d’un contingent d’anciens déserteurs réintégrés dans l’armée qui sont cantonnés à Kidal sans pouvoir sortir et sans même pouvoir hisser le drapeau Malien. Comme retour de l’Etat malien à Kidal ce pourrait semble-t-il être plus significatif.
Puis J’ai assisté entre autre à une rencontre professionnel autour du monde de l’édition plutôt décevante et un peu sinistre. La principale conversation tourne autour de demande d’aide, de réglementation, de comparaison avec l’Europe, rarement de contenu et de qualité si ce n’est celle du papier. On ne se sent pas considéré comme un partenaire de la même famille . Il n’est pas facile d’etre admis dans le cercle restreint. Comme s’il était facile d’éditer en France. Cela se saurait. Bien sûr, Il est toujours excessif de généraliser. Seul l’infatigable Sansy Kaba, celui qui avait fait de Conakry la capitale mondiale du livre secoue le cocotier. IL prépare la bienale africaine du livre avec une ardeur et une énergie qui force l’admiration.
Le clou de cette rentrée littéraire fut sans doute l’hommage rendu au grand traditionniste Bocar Cissé dont on fêtait le centenaire. Ce monsieur est une grande page de l’histoire du Mali, ancien élève de l’école William Ponty d’ou sortirent un grand nombre d’élite africaine. Tirailleurs sénégalais il sert au Sénégal, au Maroc, en Algérie, en Corse, en Italie et en France ou il participe au débarquement de Provence. Instituteur, il crée les écoles pour nomades dans la région de Gourma-Rharous, Tombouctou et Ménaka. A partir de 1967, il est détaché à l’institut Pédagogique National (IPN) qu’il quitte en 1970 pour l’institut des sciences humaines.
L’hommage a eu lieu à la bibliothèque nationale remplie à craquer pour l’occasion. Il y a d’abord sa famille. Ce monsieur à élevé avec sa femme dix enfants. Les personnalités culturelles du Mali et un nombreux public de tous âges donnant à la manifestations un caractères très vivant et conviviale. Ces anciens compagnons ou élèves ont témoigné, le petit fils de Firhun chef touareg historique de la région de Ménaka terminera les hommages alors que beaucoup de gens voulaient encore témoigner à différents niveaux. L’historien Bernard Salvaing principal auteur avec Albakaye Kounta du livre " Bocar Cissé, l’instituteur des sables" que nous avons édité aux éditions Granvaux, fit son intervention sous les applaudissements nourris du public. J’ai eu à ce moment la satisfaction que cet énorme travail allait servir à quelque chose et prolongerait l’œuvre de ce grand monsieur dont le deuxième fils n’est autre que Soumaila Cissé. J’ai vraiment été très heureux d’avoir été convié à l’intimité familiale de ce grand moment, il arrive parfois que l’on trouve du sens à la vie. Bernard Desjeux
* voir à propos du comportement de Léonora Miano :https://benbere.org/au-grin/lettre-ouverte-leonora-miano-auteure-invitee-rentree-litteraire-mali/
|