Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
 
Mai 68,Mai 2008 : quarante ans d’indépendance. remember Tommy Smith
 

Auto interview et réciproquement...(à la demande de la Nouvelle République)

Bernard Desjeux, vous êtes journaliste, reporter photographe indépendant et en 1992 vous avez créé les éditions Grandvaux avec votre femme Catherine, vous êtes papa de Claire, Eric et grand père de Théo. Si j’évoque avec vous Mai 1968, à quoi pensez vous ?

Tes quoi ? ça c’est une question que mon fils me posait quand il était petit et que parfois (rarement) mai 68 venait dans la conversation à la maison.

Et vous trouvez ça drôle ?
Un peu, en tout cas ça me va très bien comme réponse, car les soixante huitard soit disant héros d’une époque qui brandissent leur histoire comme un étendard ça me gave. Don’t look back !

En 1968 vous étiez ou ?
J’étais en plein dedans, je suis né le 20 Avril 1947, à l’époque la majorité était à 21 ans. Etudiant à la fac de Nanterre je faisais une licence de sciences économiques, section internationale. Sur la pelouse de la fac le 22 mars, les manifs, l’Odéon et la Sorbonne, la route des Indes et les Etats-Unis en auto stop, i have a dream, We shall overcome, sac à dos, pataugas... : la totale. J’étais seul, nous étions des milliers. Mais Je n’ai jamais coupé d’arbres, ni lancé de pavés, ni crié CRS SS. La plus belle image que je garde c’est celle de Tommy Smith levant le poing après sa victoire aux jeux olympiques de Mexico avec le dessin de Reiser représentant son personnage "gros dégueulasse" disant "je ne lève pas le poing on verrait mes couilles"

Ben alors ?
Je vous le dis, les souvenirs d’ancien combattant, ce n’est pas mon truc. Quand j’entend les analyses, les commentaires des journalistes je m’y retrouve rarement. Car ils raisonnent en fonction de critères qui n’étaient pas les nôtres. On retrouve toujours notre vieil ennemi le pouvoir et la marchandise, la révolution manquée. Quelle révolution ? Nous ne voulions pas le pouvoir politique, nous voulions un pouvoir sur nos vies et ça c’est gagné. Enfin pour certains. Quand je vois le foin que cela fait quarante ans après, c’est quand même marrant d’avoir croisé l’histoire.

Ah bon !
Pour moi Mai 68 a été une époque formidable, une chance inouïe qui a orienté toute ma vie. Mai 68 m’a donné « l’usage du monde ». En fait cela a commencé un peu plus tôt dans les années Lycée, un premier voyage en auto-stop à l’âge de 16 ans en Angleterre « it’s my life and I do what I want ! » l’année suivante, j’étais en première, mon ami Frédéric Denis* a posé sur le tourne disque familial un disque 33t du pianiste Thelonius Monk. Ce fut comme une étincelle. Ce type était complètement givré et réinventait en permanence chaque note qu’il jouait. Une révolution permanente. Une note nègre, non pas une note de couleur mais une note de paria, d’exclu. Une note comme un cri de liberté d’égalité et de désir de fraternité. Aux Etats Unis Martin Luther King boycotait les bus interdit aux noirs...

Tiens tiens cela me dit quelque chose.

J’ai été élevé comme Jacques Brel « entre l’honneur et la vertu ». Dernier d’une famille bourgeoise de sept enfants, je fais partie du baby boom et des « bébés ogino ». La deuxième guerre mondiale est toute proche et ma maman a sûrement dû utiliser des tickets de rationnement pour me nourrir. Et voilà que l’on refusait la société de consommation ! Ils se sont mariès en 1934 et mon papa a fait « une belle guerre » comme on disait : groupe de reconnaissance à cheval, évadé, armée de Lattre en 45, il fut décoré de la légion d’honneur. De ma mère très catholique, (c’est peu dire) j’ai retenu deux ou trois trucs qui m’allait très bien « aimez vous les uns les autres » . C’est vrai qu’on a un peu détourné la chose on disait : « aimez vous les uns sur les autres ». En fait, je voyais un décalage entre ce qu’on me serinait à la maison et les faits autour de moi, pêle-mêle : le collège jésuite qui formait les « jules et les Prosper de la France de demain » j’ai été viré. La guerre du Vietnam, l’apartheid contre les noirs aux Etats-unis, les pays sous-développés comme on disait à l’époque, les premiers balbutiement de l’écologie à travers Bertrand de Jouvenel qui parlait de « deséconomies externe » pour les contreparties de la croissance. Le club de Rome...

Et la révolution dans tout ça ?

68 a été une immense déflagration mondiale de la vie sur le vide, un printemps des idées, des comportements, un bras d’honneur, un éclat de rire « un rire solitaire protestation vitale de la liberté contre la pensée préfabriquée, dernier rempart de l’homme libre contre les mécanismes de la tyrannie. » écrivait Jean Marie Domenach. Et donc ça partait dans tous les sens : de l’université de Berkeley aux USA à Rome en passant par Dakar, Prague ou le Biaffra. Alors bien sûr chacun y allait de son couplet. Les gens parlaient, disaient n’importe quoi, tout et son contraire. La parole était libérée, une gigantesque psychanalyse universelle. « Ici on spontane ! » Depuis les étudiants politisés avec leur révolution Trosquiste ou Mao jusqu’au tenant des paradis artificiels. J’ai été sauvé par un sens terrien forgé par les petits matins au bord de la Sauldre. Il a fallu naviguer dans tout ça, faire ses choix. On avait tout envoyé baladé, il fallait avancer. « La vie est comme une sculpture, ce n’est qu’à la fin que l’on peut voir ce que cela donne » nous expliquera un peu plus tard notre ami Pierre Verger. En attendant, il y a la création quotidienne « l’imagination au pouvoir ! » Alors j’ai pris mon sac et je suis parti voir le monde...

Mais enfin tu es qui toi qui me pose des questions à la noix ?

Moi ? je suis toi, « je est un autre ». C’est vrai que lorsque je me regarde dans la glace...En tout cas lorsque je me regarde dans le cœur, je vois toujours la petite flamme de l’auvergnat de Brassens qui brûle à la manière d’un feu de joie. « Tout ce qui monte converge ! » Des questions je n’ai pas fini de t’en poser... Allez ! buvons encore une dernière fois à l’amitié, l’amour la joie. Demain est un autre jour. Enfin moi ce que j’en dis...

Bernard Desjeux Dernier photographe avant l’autoroute.

A lire : Afriques, tout partout partager de Catherine et Bernard Desjeux, préface de Ray Lema éditions Grandvaux.

*Frédéric Denis était un ami Haitien, son frère homme de thèâtre , nous avions été le voir la dans la tragédie du roi Christophe à l’Odéon, Ce frère deviendra ministre de la culture d’Haïti, je le retrouverai au Bénin en 1992 . Mon ami Frédéric serait devenu fou après un passage dans les geole de papa doc Duvalier, je n’ai plus de nouvelles.

 
 
  l’espoir luit comme un brun de paille dans l’étable !

© Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
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