Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
 
France 11 janvier 2015, "je suis charlie"(3), Saint-pierre d’Oléron
 

J’ai fait un cauchemar... Je fais un rêve. Saint-Pierre d’Oléron, 11 janvier 2015 :

Quel temps magnifique, ils ont vraiment tout prévu, le ciel est bleu, le soleil brille. Passé les moments d’émotion de jeudi soir, à Dolus, nous sommes tout guillerets, nous venons manifester notre émotion, enfin la partager plutôt. Il y a même une place pour se garer, super ! La foule remplit la place Gambetta doucement, en silence. Des élus de la République une et indivisible discutent avec les arrivants, ceints de leur écharpe tricolore : un petit pompon doré pour les maires, un petit pompon argenté pour les adjoints, enfin je suppose, je ne suis pas expert en pompon de la république. La façade de l’hôtel-de-ville est toute blanche. Un drapeau tricolore, une grande affiche invitant au rassemblement constituent en effet un beau décor pour ce qui ressemble à une fête entre amis. N’allez pas croire à la gaudriole ou à la rigolade, non les visages sont paisibles, graves mais pas tristes. Je retrouve sur une pancarte un vieux complice : Rabelais « le rire est le propre de l’homme », décidément cette réunion a de la tenue. Les discours ont un sens : des mots simples de tous les jours. En gros nous avons besoin de rires et de libertés, de contre-pouvoir, d’intelligence du cœur... Le conseiller général, grand lecteur du Canard enchaîné, conclu d’une voix ferme : « non aux cons ! » tonnerre d’applaudissements. Puis le maire prend la parole. Son discours est interrompu et soutenu par des salves d’applaudissements. « Je demande d’observer une minute de silence. » Silence de vie plus fort que la mort, rompu par une Marseillaise qui monte doucement de la foule, comme un murmure, façon « chant des partisans », rejoint petit à petit par tous, toutes catégories sociales confondues, toutes générations rassemblées, le frisson. Oui je sais, je n’ai jamais pu blairer ces paroles monstrueuses que je n’arrive pas à prononcer, alors je chantonne uniquement la mélodie. Le cortège fait un tour dans les rues de Saint-Pierre en passant par la lanterne des morts, bienvenue pour la circonstance, c’est la plus haute de France quand même. On ne peut s’empêcher de faire une photo au passage des élus devant le magasin des pompes funèbres...

Excusez-nous les Cabu et autres Maris, on ne peut s’empêcher de déconner, de ne pas prendre votre mort au sérieux : plutôt envie de faire un bras d’honneur. Je peux vous le dire maintenant, je n’aimais plus tellement Charlie Hebdo depuis un certain temps déjà, et pourtant dieu sait si j’ai lu Cavanna dans les années 70. Mais je n’ai jamais pu supporter le professeur Choron, vraiment trop dégueulasse. Je trouve même indécent que l’on parle de donner du fric à un journal qui devrait s’en sortir tout seul avec cette pub, pensez à tous les grands dessinateurs qui gratouillent pour pas un rond dans la misère, je peux vous donner des adresses. Enfin moi ce que j’en dis, je ne voudrais pas casser l’ambiance.
Retour au kiosque à musique. Et si on chantait « La bombe atomique » ou « On n’est pas là pour se faire engueuler » de Boris Vian, « Mort aux lois vive l’anarchie » avec Brassens ou une belle chanson de carabin, « le bon Saint Eloi n’est pas mort » par exemple Non ? Ce sera encore une petite Marseillaise bien gaillarde qui redresse les reins. Soyons tolérant et ne critiquons pas tout tout le temps. L’important est d’être ensemble pour évacuer cette rage qu’on a, chacune et chacun, d’impuissance devant la connerie et l’absurde.

Au retour de la "manif" ,nous passons voir les oies bernaches dans le pertuis d’Antioche au coucher du soleil, pour s’assurer que cette mer-là nous consolera toujours de tout, que cette mer-là ne nous laissera jamais orphelins. Puis on rentre à la maison boire un petit verre de pineau.

J’ouvre le poste, changement de climat : toute la France a fait comme nous, là on est bien content, on imagine notre pays bras dessus bras dessous, la mère machin avec le père trucmuche qui ne peuvent se saquer, main dans la main. Qui a dit que la France était morose ? Et puis patatras, des politiques arrivent sur un « plateau » pour discutailler entre eux, vite « stop, éteins ce satané poste ! » Catherine est vacciné depuis son enfance, elle préfère retrouver le silence et le ronronnement de l’Océan.

Je ne sais si c’est le pineau ou l’émotion, mais j’ai fait un cauchemar cette nuit : la fille de Poutine agent spécial en mission, roule un patin au président de l’Europe, l’honorable monsieur Juncker, du coup celui-ci pense rajouter quelques étoiles au drapeau européen ; Bentanayou tape le carton avec Abbas même qu’ils sont assis sur 2000 ans de crânes et de cadavres. Quant à ce président facile à reconnaître puisqu’il est tout gris, je ne sais pourquoi, il danse le sirtaki, jaloux d’un autre grand chef qui lui brille par son absence car il est parti se faire voir chez les Grecs. Les membres de tous les clergés sans exception ont dans leur culotte le livre de Cavanna « Lettre aux culs Bénis », mais que je les rassure - de l’aveu même de l’auteur - ce livre n’est pas pour eux car, si j’osais, je dirais que leurs certitudes sont inébranlables, ce livre est pour les mécréants, bienvenue au club. À propos, vous avez vu Sarko sur la photo ? celle où il y a tous les mecs en noir, ceux qui sont censés nous construire des lendemains qui chantent, il se serre la main à lui-même... Non je n’ai pas écrit qu’il allait devenir sourd, ce serait vulgaire, ma bonne éducation judéo chrétienne me l’interdit. Ce sont plutôt des gars comme ceux de Charlie Hebdo qui disent ça... Je n’ai pas rêvé de Marine Le Pen et pourtant c’est bien un cauchemar pire que le sparadra du capitaine Haddock !

En tout cas mon cher, je fais un rêve ce matin, commencé il y a plus de 45 ans lorsque, boutonneux et que le grand duduche n’existait pas, j’ai entendu une voix s’élever de l’autre côté de cet océan Atlantique : « I have a dream ». Alors j’ai pris mon sac-à-dos, un billet charter et j’ai chanté devant la Maison-Blanche à Washington, à tue-tête, un air qui me fait vivre encore plus que jamais « We shall overcome », c’était en 1968. Ben oui je rêve encore... Étonnant non ?

Bernard Desjeux

PS. Vous le saviez-vous ? Il paraît qu’il y a un Noir à la Maison-Blanche. On raconte aussi que Ray Charles ne savait pas qu’il était noir comme dirait Nougaro : quel manque de pot.

Jeudi 14 janvier : 3 millions de Charlie Hebdo en 5 langues, plus d’exemplaires en une journée qu’ils n’en n’ont jamais vendus de leur existence ! Quant à la couverture, il n’est pas interdit de penser aux centaines de milliers de musulman que cela choque. Je pense à mes amis qui vivent leur foi tranquillement sans emmerder personne. Pour qui vous prenez vous ? Vous croyez vraiment que cela gène les tarés qui ont flingués vos copains ?
Fabrice Nicolino (jne) va mieux puisqu’il recommence à lire et à écrire.

 
  J’ai fait un cauchemard...je fais un rêve.
 

© Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
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