Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
 
Alain Mabanckou : ce type est formidable...
 

Il arrive dans la salle du collège de France bondée, sapé comme un nègre devant un parterre de professeurs, journalistes, hommes de lettres, gens de culture de toutes les couleurs. Alain n’a pas peur, ne tremble pas," Je ne vais sans doute pas faire d’autre leçon inaugurale dans ma vie". Il savoure ce moment ou il peut en tant qu’écrivain dire à la face du monde comment ceux qui n’existaient pas, qui valaient moins que des chevaux sont passés des ténèbres à la lumière, une lumière arc en ciel. "Permettez que je dise Nègre" dira-t-il juste après sa leçon inaugurale à l’émission la Grande Librairie. Il a eu juste le temps de sauter dans un taxi pour arriver avant la fin de l’émission salué chaleureusement par Fabrice Luccini ancien habitant de la Goutte d’or qui l’accueille comme un ami de toujours sous l’œil noir de Michel Onfray. D’ailleurs Il est habillé par son ami de la rue de Panama, Jocelyn Armel dit le "Bachelor" non pas en clown mais en "sapeur”, une forme de politesse, une élégance que l’on retrouve dans les rapports avec les autres avec la vie. Les chaussures ne s’appellent-elles pas les "fondements" ?
Un peu plus tard dans la soirée il rejoindra ses amis dans un maquis : Rodney Saint-Eloi Joël Desrosiers, Caroline, Camille, Catherine...
Le jeudi il participe à la présentation de l’anthologie de la poésie haïtienne éditée au Point Seuil sous la houlette de James Noël. Il dira deux poèmes de ses amis Joël des Rosiers et Dany Laferrière : "Je regrette moins mon île que mon enfance..." le samedi il est au livre de Paris sur le stand de la librairie Congo ou il continue à distiller ses pépites "’il faut varier les genres pour ne pas s’endormir, poésie, romans, essais...l’écriture commence par la liberté de ton..je n’ai pas le temps de bêler...il faut imposer sa voix...ce ne sont pas les professeurs de lettre qui écrivent des essais car il faut réfléchir...ou était le ministre de la culture du Congo ? Que fait-il ? J’aimerai qu’il sorte son bilan, c’est le ministre de l’inculture..." Il dit son admiration pour Tchicaya U’tamsi, Henri Lopés. Il dit son amitié avec les écrivains Jean Bofane , Emmanuel Dongala, Sony Labou Tansi, qui écrivait dans des cahiers d’écolier d’une belle écriture sans ratures "je le soupçonnais de recopier ses textes "Il dit sa fierté d’avoir publié après ses glorieux ainés Césaire, Senior, Alioune Diop...aux éditions Présence africaine et remercie madame Diop d’avoir compris sa démarche. Il change de scène, embrasse tous le monde, pose avec sa "sœur" ou son "frère" pour une photo.
Il retrouve son ami Dany Laferrière sur la grande scène littéraire. Ils effectuent un numéro de duettiste dans la joie et la bonne humeur, comme deux musiciens de jazz "on connait la musique" dit Dany. Ils communiquent leur amour de l’autre leurs recherches permanentes, célèbre l’amitié sous les applaudissements du public, ils en appellent à leur grands frères : Hemingway, Miller, Kerouac, Borgés... on a l’impression qu’ils sont à côté d’eux lorsqu’il se lancent dans les phrases de début de roman. Un festival dont je ne citerai que Le Clézio dans "l’Africain" "De ce visage que j’ai reçu à ma naissance, j’ai des choses à dire..." lui la plus belle gueule de la littérature, beau comme un acteur américain dit Dany...et puis "Jimmy" Baldwin... Alain à appris l’anglais en lisant ce nègre de Harlem pauvre et homosexuel ,mine de rien Alain parle déjà 6 ou 7 langues,, lui qui n’était rien, réfugié en Europe qui chante l’amour et la féminité de l’Amérique. A l’inverse de ses grosses bagnoles ses coups de flingues dans les mauvais films, le contre point de ce sinistre candidat à la présidence Trump. Dany et Alain sont le contraire de ces professeurs qui assènent leurs vérités avant de vous noter. Ils incarnent le partage, l’altérité, l’espoir, l’humour forme suprême de l’intelligence, la recherche, l’enrichissement permanent...C’est parce qu’ils doutent de tout qu’ils ne doutent de rien, tout est possible rien n’est fermé. L’académicien concède, en s’excusant presque, qu’il peut avoir une fonction de conseil. Ils évoquent leur propre mythologie, le souvenir d’un avocat, le fruit évidemment, partagé dans un endroit improbable lors d’un voyage en Haïti. Dany raconte les débuts d’Alain, évoque le prix Renaudot "Monsieur cela fait deux heures que je fais la queue pour avoir votre signature, madame moi, cela fait 20 ans que je vous attend " Dany et Alain débordent sans retenue, la "modératrice" Delphine Chaume n’y peut rien, elle l’a compris range ses notes et laisse se déverser ce torrent de tendresse, de force, de sourire, d’espoir, de vie... Merci Alain et Dany... Ces types sont formidables... Ce qui est formidable , ce n’est pas qu’ils soient professeur ou académicien mais c’est qu’ils aient conservé intacte cette rage de vivre et de partager.
Après une joyeuse séance photo ils sont déjà reparti picorer le sel de la terre, ne les cherchez pas ils sont partout.
Je pense à Bernard Lavilliers : "J’étais noir moi aussi mais pour d’autres raisons..." Bernard Desjeux.

article de Celia Sadai dans Africulture
http://www.africultures.com/php/index.php ?nav=article&no=13542

Article de Marie-Alfred Ngoma dans les dépêhes de Brazzaville :
http://adiac-congo.com/content/remarquable-lecon-inaugurale-de-lecrivain-alain-mabanckou-au-college-de-france-47780

Extraits de la leçon inaugurale
 : "...en 1530, au moment de la fondation du Collège, les Africains n’existaient pas en tant qu’êtres humains : j’étais encore un captif et en Sénégambie par exemple, un cheval valait de six à huit esclaves noirs !... c’est ce qui explique mon appréhension de pratiquer l’équitation et surtout d’approcher un équidé, persuadé que la bête qui me porterait sur son dos me rappellerait cette condition de sous-homme frappé d’incapacité depuis "la malédiction de Cham", raccourci que j’ai toujours combattu ».

... tout cela est, certes, de l’histoire, tout cela est certes du passé, me diraient certains. Or, ce passé ne passe toujours pas, il habite notre inconscient, il gouverne parfois bien malgré nous nos jugements et vit encore en nous tous car il écrit nos destins dans le présent »,... « Ce qui est historique, c’est la rencontre d’un savoir-faire africain avec une réflexion, une intelligence française », ... « Cette rencontre était attendue. Elle a eu lieu aujourd’hui et nous en sommes absolument ravis ». « J’appartiens à cette génération, celle qui s’interroge , celle qui, héritière bien malgré elle de la fracture coloniale, porte des stigmates d’une opposition frontale de cultures dont les bris de glace émaillent les espaces entre les mots, parce que le passé continue à bouillonner... et que nous autres Africains n’avions pas rêvé d’être colonisés, que nous n’avions jamais rêvé d’être des étrangers dans un pays et dans une culture que nous connaissons sur le bout des doigts. Ce sont les autres qui sont venus à nous, et nous les avons accueillis à Brazzaville, au moment où cette nation était occupée par les nazis ». « J’appartiens à la génération du Togolais Kossi Efoui, du Djiboutien Abdourahman Waberi, de la Suisso-Gabonaise Bessora, du Malgache Jean-Luc Rahimanana, des Camerounais Gaston-Paul Effa et Patrice Nganang ». « En même temps, j’appartiens aussi à la génération de Serge Joncour, de Virginie Despentes, de Mathias Enard, de David Van Reybrouck et de quelques autres encore, qui brisent, refusent la départementalisation de l’imaginaire parce qu’ils sont conscients que notre salut réside dans l’écriture, loin d’une factice fraternité définie par la couleur de peau ou température de nos pays d’origine ».

 
  Leçon inaugurale , collège de France 17 mars 2016
 

© Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
http://bernard.desjeux.free.fr

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