Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
 
mai 2016 Sénégal, Dak’art 2016, biennale des arts de Dakar
 

Enchanté de vous rencontrer, ce "in" est un enchantement, je dirais même plus, un ré-enchantement. Venez regarder « la cité dans le jour bleu » !
Vous ne voyez pas bien ? moi non plus, surtout le bleu mais cela n’a aucune importance dans ce monde dominé par le tout économique qui a oublié l’humain. "La question qui est posée, face à l’internationalisation outrancière de ces dernières décennies, est celle de l’identité, non pas comme la preuve de l’appartenance à un groupe, dans un réflexe grégaire (c’est ainsi qu’elle se traduit), mais plus profondément, comme une quête existentielle. Une quête de sens. Le constat est clair : il y a quelque chose de pourri dans le royaume de la terre..." écrit Simon Njami dans l’introduction du catalogue de cette biennale, la 16e du nom quand même ! La biennale, unique sur le continent africain, c’est le temps et le lieu de rencontres, d’échanges, d’amitiés, de retrouvailles, de business avec la présence de grands musées comme le Gougenheim de New York, je crois,... Tout un petit monde qui s’élargit, se renouvelle, fait honneur aux anciens, accueille les nouveaux. Simon Njami en est le directeur artistique. Ce titre me surprendra toujours. Peu importe. Simon est un être étrange comme le sujet qu’il est censé présenter. Il est dans le paradoxe permanent, c’est la fonction qui veut ça. Il défend la liberté de créer, du renouvellement permanent, il en est l’autorité. Il doit décider, choisir, éliminer, retenir, accueillir des expositions officielles. Cela ne le rend pas très sympathique, d’ailleurs il ne fait pas grand-chose pour ça et il paraît qu’il le revendique. Claquemuré derrière ses lunettes noires, il tire sur une clope qu’il laisse partir en fumée. Par contre, lorsqu’il parle, nous avons l’impression que dans sa tête tout est clair, cohérent, évident et quand il écrit c’est magnifique, citant allègrement Deleuze ou Montaigne. On a l’impression qu’il sait tout, qu’il a tout vu, tout lu. Il fait le tour de la planète en étant partout chez lui à Lumumbashi ou a Mexico.
Simon est dans son élément : la création, carrefour de toutes les ambiguïtés. Je dois le dire, moi j’ai beaucoup de mal à comprendre le monde, je l’envie beaucoup.

Bien différent est Mauro Pétroni, italien je suppose comme son nom l’indique, mais tellement intégré au Sénégal, depuis tellement d’années. Il coordonne le "off". "L’histoire de la manifestation est connue : elle a déjà été écrite et déjà contestée. Ce qui est moins connu c’est l’issu que ce dispositif, tant exalté et tant décrié, pourra avoir dans le temps ." Céramiste, c’est lui qui refit le marché Kermel détruit par un incendie, il arbore un éternel sourire, un sourire engageant, lumineux, un regard tranquille qui ne laisse pas apparaître la somme de fatigue accumulée à aider à monter des dizaines d’expositions à travers cette ville de Dakar qui grandit en permanence. Artiste lui même, on sent qu’il aime donner, partager, mettre en valeur tel ou tel artiste : on ne perçoit pas de couperet chez Mauro. Quelle émotion devant le succès de la belle exposition de son grand ami, son frère, Soly Cissé ! Nous avions eu la chance de les rencontrer il y a de nombreuses années, au cours d’une exposition beaucoup plus confidentielle dans l’atelier de Mauro, à l’époque isolé de la ville. Soly Cissé, gravement malade et hospitalisé en France, a peint avec force des tableaux de survie laissant échapper tout le mystère de l’acte de création, le geste de l’artiste médium, passeur, créateur, un bras d’honneur à l’absurdité et au train train de la raison.

Simon et Mauro c’est un peu le ying et le yang, le in et le off, les deux faces de cette biennale, un monde en mouvement. Cette manifestation ne se regarde pas comme une chose curieuse, quoique. C’est plutôt des moments privilégiés de rencontres, de découvertes, de partages. Il faut jouer en permanence avec l’aléatoire, la surprise. Il faut jouer à cache-cache avec une organisation elle aussi aléatoire, trouver comme dans un jeu de l’oie telle ou telle manifestation, découvrir le programme du off dans le coffre d’une voiture, arracher le catalogue du "in" de haute lutte, exhibant une carte de presse qui n’intéresse pas grand monde. Ce que l’on ne regrette pas, ce sont les découvertes de pépites : l’incroyable Espace Médina recouvert de cravates, lieu d’installations multiples initiées par Ndoye Douts, artiste plasticien et ses amis, une conversation avec Issa Samb dit Joe Ouakam dans son antre, la surprise devant les extraordinaires photos de nues de Safaa Mazirh et puis les expositions dans les locaux de la société Eiffage. Cette année, Gérard Sénac, président directeur général, grand amateur d’art, nous propose une "Promenade à Bamako". Le Mali, meurtri par des évènements qui lui échappent, compte de grands artistes : Abdoulaye Konaté y joue avec simplicité un peu le rôle de grand frère et il faut tous les citer : Noumouké Camara, Ibrahim Konaté, Amadou Sanogo, Sinaly Tangara, Elie Théra, Souleymane Ouologuem, Abdou Ouologuem, Harandane Dicko, Sadion Diakité, sans oublier Cheick Diallo, designer. Lors d’un vernissage chaleureux on aura le plaisir de retrouver Mamou Daffé, créateur et directeur du Festival sur le Niger de Ségou. De cette manifestation se dégage une force essentielle qui monte du plus profond de l’âme malienne : "on est ensemble"... Et puis il y a le vernissage peut-être le plus festif, celui du Yassine Art center qui rend hommage aux précurseurs Babacar Lo, Adama Sylla, Cheikh Makhone Diop, Diatta Seck et Mama Casset. Le directeur fondateur et grand collectionneur d’art Amadou Yacine a convoqué une troupe de Casamance et la soirée se terminera par un défilé de mode du plus bel effet. Cela m’a évoqué - pour l’ambiance - le Cotton Club. Je n’aurais pas été surpris d’y voir débarquer Lester Young et Coleman Hawkins flanqués de leurs saxophones... (à suivre)
Bernard Desjeux

 
  Enchanté de vous connaître...
 

© Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
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