Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
 
Soyez heureux...c’est un vœu.
 

Ça par exemple, on est déjà le 31 décembre 2018. Vous, le saviez-vous ? Heureusement il y a l’avalanche de bons vœux qui vous rappelle qu’il faut souhaiter du bonheur à la terre entière. Alors, allons-y donc : soyez heureux, plutôt deux fois qu’une. Oubliez tout ce qui ne va pas et en avant : don’t look back ! Sacré Bob Dylan, il avait la formule magique, disant «  n’y pense plus tout est bien, je reprends la route demain  ». Aucune lassitude mais au contraire un immense besoin de vivre : aller voir là-bas ce qu’il en est, être curieux de tout dans la joie et la bonne humeur. Une envie essentielle de rencontres, d’échanges, de résonances, de partages. Chaque année apporte son lot de surprises, d’étonnements, de joies et parfois de peines. En cette année qui s’achève, nous avons eu notre lot.

Ibrahima Aya a eu la gentillesse de nous inviter pour le dixième anniversaire de la Rentrée littéraire du Mali à Bamako. Je dis «  gentillesse  », car il n’est pas si fréquent de voir une manifestation ayant pour vocation de promouvoir la littérature africaine s’ouvrir aux auteurs extérieurs au Continent. Ce sont souvent des grand-messes où les auteurs africains se renvoient la balle pour dire que l’Afrique est victime d’ostracisme, qu’ils ne veulent pas être dans un ghetto d’écrivains ou d’artistes noirs. La meilleure solution est d’ouvrir la porte dans les deux sens. C’est ce qui s’est passé à Bamako, dans la joie et la bonne humeur. L’humanité des hommes est supérieure à leur couleur. L’humanité est un lien  !

Je viens de terminer le livre de Roland Brival, Nègre de personne  : l’auteur s’y met dans la peau de Léon-Gontrand Damas écrivant à Aimé Césaire, au jour le jour, le récit de son voyage à Harlem à la fin des années 1930. Fictif mais plus vrai que vrai, formidable ! Roland, avec qui nous eûmes la chance de dîner au festival Étonnants Voyageurs, à Saint-Malo, est à la fois peintre, musicien, écrivain, poète. Dans une des rencontres à Harlem, un soir Léon et son amie Anna décident d’aller écouter Billie Holiday. Hélas, la salle est comble. Sur le trottoir, un type fume une cigarette. «  C’est Teddy Wilson, je le connais  », dit Anna. Ils rentrent avec lui dans la loge, Billie est dans un coin, carrément défoncée. Non loin d’elle, un sax ténor chauffe son instrument, c’est Lester Yung...

«  - Sommes-nous toujours en train de parler de révolution  ? m’a-t-il alors demandé en fronçant les sourcils.
-  De quoi d’autre  ? Mais une révolution qui effacerait les mots “Nègre” et “Blanc” de l’histoire des hommes.
-  Et par quoi les remplacerais-tu  ?
-  Par celui de “frère”, peut-être. Il s’est abîmé dans une longue réflexion, puis j’ai vu passer un sourire fugitif sur ses lèvres.
-  Tu n’es qu’un fou, mon jeune ami... Mais ta folie me plaît bien. » Roland Brival, Nègre de personne, Gallimard

2018 a vu la finalisation du beau travail avec Eric, le film + le livre : Kankan nabaya, la ville de l’hospitalité, Guinée. Pour des parents, que ce soit avec Claire ou Eric, il est fabuleux de se sentir autant en harmonie avec ses enfants. Eric filme d’une façon naturelle, sans bruit. Ses plans sont comme des caresses et son respect naturel des personnes lui permet de rentrer où il souhaite, sans grands discours ni grands raisonnements, juste une empathie naturelle. Il écoute autant qu’il regarde, avec une puissance de travail impressionnante, car après une journée de tournage bien pleine, il devait encore recopier ses plans sur des disques externes pour les mettre à l’abri. Le film - projeté à Kankan, après la projection à Conakry - et le livre ont reçu un bon accueil et nous avons eu de nombreux mails de remerciements. Ce livre est le quatrième titre de la collection «  Voyage au pays de l’autre  ». Ce n’est qu’un début...

Conakry, justement, finissait en avril le cycle annuel de la ville Capitale mondiale du livre Unesco. Nous avions fait un petit album pour l’ouverture, nous en faisons un deuxième pour la clôture, comme trace de cette belle expérience qui devrait rebondir vers d’autres projets. C’est notre ami Sansy Kaba Diakité qui a organisé de main de maître ce qui n’était qu’un projet utopiste. Entouré d’une petite équipe et de nombreux bénévoles, il a réussi pendant un an à multiplier les animations au niveau international. Lors des 72 heures du livre, le thème de cette année était l’agriculture. Pendant un week-end entier, nous avons assisté, un peu hallucinés, à un hackathon organisé par l’OIF (Organisation internationale de la francophonie)  : un concours de startup entre jeunes maniant le langage informatique avec aisance, développant les thèmes d’agriculture durable et de vente locale, devant des investisseurs potentiels... Ensuite, nous sommes partis en compagnie de Tierno Souleymane Barry, avocat, poète et désormais ami, à plus de 1 000 km (ça crée des liens) jusqu’à la ville de Nzérékoré puis à Diéké, au sud-est extrême de la Guinée, en pleine forêt, à la station agricole Soguipah à la frontière du Liberia.

Au retour à Conakry, j’ai vécu une des grandes joies de ma vie pourtant bien riche en évènements. Heureux. J’ai tapé le blues dans un bœuf incroyable avec le Bembeya jazz national, un des orchestres mythiques d’Afrique de l’Ouest des années 70. Sekouba Diabaté, dit «  diamond fingers  », s’est mis à danser, à chanter. Je reste lucide quant à mes talents de musiciens, mais ma joie vient de l’acceptation des autres musiciens, le sourire complice du guitariste, le soutien incroyable du batteur, le solo de trompette. Je suis dans la musique et je change de rythme et tout le monde embraye, personne ne me juge, quelle liberté  ! Quelques jours auparavant, nous avions fêté l’anniversaire de Catherine avec l’orchestre de Maître Barry.

Puis nous passons par la Biennale des arts de Dakar. Nous nous y rendons depuis longtemps. Ce n’est pas une habitude, plutôt un rendez-vous de découvertes et d’émotions. Si le In est de qualité le Off permet d’aller de surprises en surprises. Le clou fut, ex-marché Mali, le grand happening de nombreux artistes en l’honneur de Joe Ouakam, un incroyable personnage de la vie dakaroise que tout le monde ou presque a croisé un jour quelque part. Nous retrouvons le talentueux artiste malien Amadou Sanogo qui avait cotoyé notre grand ami Kandioura Coulibaly. Une de ses Études  est désor­mais accrochée dans notre maison d’Oléron, un lien tendu avec eux deux. Après Bouscouloune (Pierre Gazin), Les maisons des obscurs (Association Patrimoine[s]) , Châtillon-sur-Loire, époque 1900 (Louis Azambourg), Transfor­mation structurelle et émergence de l’Afrique pour le PNUD Côte d’Ivoire, la réédition de Saint-Louis du Sénégal, nous allons cette année publier : Passion Haïti de Rodney Saint Eloi, Marchands d’angoisse, le Mali tel qu’il est et tel qu’il pourrait être du sociologue Mohamed Amara, Fontenay aux roses, pétales d’amour d’Amadou Gaye, Les jalons marquant d’une vie nomade de Tahirou Diao, ainsi que d’autres à venir si les vents sont favorables. La caméra de bois était dans les trois livres finalistes du prix Fetkann/ Maryse Condé, jeunesse. Pour rouler des mécaniques, je peux dire que Maryse Condé m’avait interviewé début 1980 pour une émission sur France culture, le jour même de la sortie de son livre Ségou, futur grand best-seller.

Nous préparons une grande exposition au musée de l’IFAN de Dakar en novembre 2019 : Voyage aux pays de l’autre.

La famille évolue doucement. Les petits-enfants grandissent, les parents, Claire et Nicolas, pilotent le bateau familial au mieux. Eric voyage beaucoup avec, notamment, le spectacle Human Brush donné, entre autres, cette année à Taïwan, ce qui n’est pas si banal.

Nous avons reçu cette année un mail de Marie-Josephe, une amie de Catherine un peu perdue de vue, qui a consacré sa vie à aider les démunis parmi les démunis, débrouillant autant que faire se peut des situations inextricables. Nous avons une grande admiration pour elle. Voici son mail, même si notre modestie en prend un coup : «  Je vous espère en forme, créatifs, avec belle descendance. De temps à autre, Internet me donne des nouvelles de vous et de tel ou tel de vos livres. J’admire et estime toujours autant ceux qui ont pu faire un pas de côté, comme on dit en travail social, et se forger une vie au contact d’autres si semblables et heureusement si différents. Allez, vous êtes des témoins magnifiques ! »

Portez-vous bien, tous autant que vous êtes, on vous aime. Et vous, ça va ? Catherine et Bernard

 
 
 

© Bernard et Catherine Desjeux Journalistes - Reporters - Photographes
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