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Ni noirs ni blancs bien au contraire
La couleur n’est pas une qualité, ni la noire, ni la blanche. Tous les hommes sont différents, tous les hommes sont égaux et surtout les femmes. Assez de ces jérémiades, ces petits drapeaux étriqués, ces populismes minables, ces rodomontades suffisantes, ces camps retranchés. Il faut de tout pour faire un monde et il est grand temps de s’aimer, mon frère. Aujourd’hui, à l’automne de notre vie, nous avons tellement reçu des autres sur les chemins de traverse, que nous avions envie de témoigner, même s’il est difficile de parler de soi. Nous avons cherché dans un désir fusionnel « la carte qui est si délirante qu’on n’aura plus jamais besoin d’une autre... ».
Sac-à-dos pataugas, autostop, un rif de blues dans la tête pour tout bagage, non pour fuir mais curieux de tout. Nous voulions voir, découvrir le monde, danser avec les chamans et courir avec les chameaux. Nous avons rencontré l’Auvergnat de Brassens, la fille du Nord de Dylan, les compagnons de Woody Guthrie, l’aura d’Ali Farka Touré, le copain de Pékin, le docker de Suez et le coolie de Hanoi... Nous avons voyagé, jouisseurs, comme des musiciens, tantôt seuls tantôt rencontrant des big bands entrelaçant des notes de toutes les couleurs, prêts à toutes les improvisations, toutes les surprises qu’offraient nos rencontres. Nous nous sommes mis « en disponibilité par rapport au hasard ». Un méli-mélo, comme la vie.
Nous voulions vivre, toucher le monde avec tous les sens pour le comprendre, le ressentir, le partager par le texte et l’image. Nous sommes des chercheurs d’amitié, derniers photographes avant l’autoroute.
Je n’ai jamais pu lire un mode d’emploi, si ce n’est la dernière page qui me faisait comprendre que je ferais mieux de commencer par le début.
Alors photographes ? Sûrement, peut-être un petit peu, mais traversés par la musique, la littérature, la peinture, le silence du grand Sahara que nous allons parcourir, vivre, dans tous les sens pendant des années, les rythmes tonitruants des tambours vaudou, le son de l’imzad touareg, les musettes duBerry. Nous nous endormions sous une cathédrale d’étoiles avec le chant des tourterelles le soir au crépuscule, lorsque la brousse s’éteignait. T’en souviens-tu ? Touches à tout, clochards célestes dans le doute permanent, un besoin de partage comme une évidence d’humanité. Pour l’ego, ça fait curieux. On brouille les pistes avec une signature commune. Qui fait quoi ? Va savoir ! Nous avons toujours eu beaucoup de mal à nous mettre dans une case.
Bernard est claustrophobe, Catherine a le vertige. Tu parles d’un couple. Et pourtant...
Notre rencontre avec Pierre Verger fut déterminante. Il ne fut ni un père, ni un maître, il nous offrit son amitié pendant plus de vingt ans, c’est tout. Lorsque je m’occupais du service audiovisuel du Centre culturel français de Cotonou au Dahomey en 1972, il est venu demander un groupe électrogène pour le tournage qu’il produisait avec la réalisatrice Yannick Bellon : Africains du Brésil, Brésiliens d’Afrique. Nous ne nous som mes plus quittés. Il partageait nos plats de nouilles à la maison en compagnie de Balbino, prêtre de Shango de Salvador de Bahia. Lors de ses séjours à Paris, il venait chez nous et les enfants lui sautaient sur les genoux. Il racontait des histoires merveilleuses et nous retrouvions souvent ensemble ses amis Gilbert Rouget, Paul Mercier. Après les années fac, à Nanterre en 1968, si nous savions bien ce que nous ne voulions pas, nous étions pour le moins indécis pour notre futur. Il nous a donné confiance en nous : « Vous en savez tout autant que les “chiantifiques” », disait-il malicieusement. Nous n’avons jamais parlé avec lui de photographies, ou si peu.
Tout naturellement nous nous sommes orientés vers le journalisme, le grand reportage au long cours, alternant les sujets, avec l’idée d’en faire des livres. Aujourd’hui, nous y ajoutons des films comme Kankan Nabaya, la ville de l’hospitalité de notre fils Eric, réalisateur. Nous avons idée de donner du sens au monde, l’Europe n’en étant pas le centre. Concernés, nous nous impliquons autant que faire se peut, essayant de détricoter la pensée toute faite, de faire un pas de côté, de s’enrichir des autres si différents, et c’est tant mieux. Imaginez un monde où tous penseraient pareil, quelle tristesse ! Passeurs,nous écoutons beaucoup : la Loire, les Touaregs et le grand Sahara, le vaudou, le monde rural, une Afrique plurielle, l’environnement... Nous récoltons de nombreuses et vraies amitiés. Au retour de longs voyages, l’on nous disait dans les rédactions : « Racontez-nous ce que vous avez vu et compris », puis, peu à peu, nous avons vu apparaître les écoles de journalisme, les contrôleurs de gestion, la marchandise, le marketing, les chefs de rubrique, le rewriting. La presse est passée de l’information à la communication. Hélas !
Nous avons rassemblé ici quelques images, pour beaucoup de nos débuts. Comme des petits cailloux, elles jalonnent notre parcours. Ce ne sont pas de « jolies » photos. Nous avons provoqué ce face à face imaginaire que nous portons en nous, l’un et l’autre. Un double je. Je me regarde dans la glace et j’en vois un autre, je vois l’autre et je me reconnais. Étonnant, non ?
Stop, j’ai un peu tendance à spéculer, à me poser des questions, à chercher des réponses, à pomper l’air, je voudrais éviter de grands phrases fumeuses, garder en silence le seul discours de ces images et de leurs courtes légendes pour que chacun puisse se les approprier, voir le monde à hauteur d’homme, sa diversité et sa richesse. « Restituer plutôt que prendre une photo » aimait dire Michel Tournier.
Certaines nous renvoient à des temps anciens où l’on faisait des boulettes à l’école, ainsi qu’aux pays qui ne sont lointains que pour les autres. Il ne s’agit ni de nostalgie, ni d’exotisme, ni d’ethnologie, mais d’une richesse qui nous fait vivre au quotidien. Quelques amis ont bien voulu nous prêter leurs mots. Nous sommes fidèles en amitié.
Témoignage de David Diop, qui ouvre ce livre, est le premier poème africain que j’ai lu. J’étais jeune, j’ai été bouleversé. Je le suis toujours. Cet enfant, en vis à vis, est une de nos premières photos lorsque nous débarquons au Dahomey en 1972. Je dis bien nous, car la photographie se nourrit du vécu et libère l’inconscient. « La musique, ce n’est pas que des notes » dit le pianiste Keith Jarrett. La photographie non plus ! À chaque fois que nous partons en reportage, en Afrique ou ailleurs, on nous souhaite : « Bonnes vacances ! » Bienvenue chez vous.
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